samedi 15 décembre 2007

Notes de voyages dans un monde fractal – Episode III

La Mercedes SLR (la plus chère des Mercedes…) couleur argent (!) sur le Bund à Shanghai, juste en dessous du bar à la mode, le Bar Rouge (!) entourée de mendiants… Mao réveille toi, le rouge était donc la couleur de l'argent… ou plutôt le monde est décidément bien fractal, surtout en Chine !

Ainsi, ceux qui cherchent à décider si la Chine est encore un pays communiste ou le temple de l’ultralibéralisme ne sont pas au bout de leur peine. Je crois que seule une vision capable de s’éloigner de la dualité, fractale, peut permettre une amorce de compréhension des événements et du système politique et économique qui transforme actuellement la Chine. La Chine est bien communiste. Mais elle est aussi capitaliste (c’est d’ailleurs officiel : c’est l’économie socialiste de marché).

Tout est non-dualité en Chine. Ainsi, autre exemple, la Chine est à la fois le lieu de toutes les catastrophes écologiques… et c’est aussi le lieu de certaines des plus grandes avancées en matières d’environnement !

J’ai aussi renoué lors de la visite du MOCA de Shanghai (musée privé d’art moderne) avec une observation, et une émotion, très présentes depuis mes premiers séjours en Chine lorsque je suis confronté à cet inimitable mélange de grandiose, de clinquant… et de décati. Le parfait exemple pour moi, ce sont les moquettes chinoises ou les rideaux déjà vieux et délavés même quand ils sont neufs (et ils sont rarement neufs)… Une accélération trop rapide des choses pour aboutir à une vision fractale du vieux dans la neuf, ou du neuf dans le vieux ?

La visite du MOCA et l’exposition d’oeuvres ode à la marque Adidas (qui sponsorise l’exposition) montre aussi un autre paroxysme de notre époque. Ce ne sont plus les riches familles ou les gouvernants qui se font tirer le portrait par les artistes les plus en vue, comme aux siècles derniers. Ce sont les marques !

De même que ce ne sont plus les riches de ce monde qui ouvrent leur musée (Pinault n’est qu’un survivant sûrement génial de l’époque Agriculture élevage). Non, ce sont les marques qui ouvrent des musées (Samsung et Hermès à Séoul par exemple, voir article précédent). Et ce sont surtout les marques qui deviennent des musées elles-mêmes (les Apple Stores). On ne fait plus la queue pour voir les Beatles, mais pour acheter son I-phone un jour avant tout le monde ! On ne parcourt plus le monde à la recherche de quelques épices rares, mais on négocie l’exclusivité pendant un jour ou 6 mois d’un produit d’une marque musée !

Je reste également fasciné par ces restaurants dit fusion, comme T8 à Shanghai par exemple. La nourriture ne l'y est pas toujours tant que cela mais la fusion est certainement dans les gens qui fréquentent ces lieux. Ce sont d’ailleurs bien les maîtres de ce nouveau monde fractal. Un mélange des maîtres du pouvoir de l'industrie-commerce à son apogée et des nouveaux maîtres de l’ère création-communication. Peut-il naître quelque chose de ces rencontres ? Se voient-ils ? Ont-ils conscience d'être ce qu'ils sont ?

Dans le même registre, la visite de deux nouveaux clubs fut aussi fort instructive. Le Volar est dessiné par Philippe Starck. Et le MAO s’annonce comme le premier club soucieux de développement durable avec l’utilisation de matériaux de récupération et la possibilité de boire des boissons naturelles. Je n’ai pas ressenti le bon et le vrai de l’affaire au milieu de la fumée de cigarette mais le concept est intéressant…

Autre époque, il y a onze ans, j’ai embauché à Pékin pour la société qui m’employait un jeune chinois. Il devait gagner environ 200 ou 300 Euros, ce qui était un salaire conséquent à l’époque. J’ai déjeuné avec lui et son épouse à Shanghai. Responsable pour la Chine dans un Groupe international, il gagne aujourd’hui plusieurs milliers d’Euros. Il possède une voiture (si quand je l’ai rencontré il y a 15 ans, je lui avait dit « un jour tu auras une voiture », il m’aurait certainement pris pour un fou). Il possède un appartement de 240 m2 avec jardin, il a passé ces dernières vacances au Cambodge et son épouse trouve « très cool » de venir à Paris pour les soldes… Le plus impressionnant étant de voir les 2 « ouvriers du peuple » que je connaissais il y a 15 ans habillés aujourd’hui, avec une grande élégance, en jet-setteurs internationaux …

Bien sûr, tous les chinois ne gagnent pas plusieurs milliers d’Euros par mois et ne font pas les soldes à Paris ! Mais combien de Chinois gagnaient 1 EUR par mois il y a 15 ans et en gagnent 20 aujourd’hui ? Combien en gagnaient 10 et en gagnent aujourd’hui 200 ?

Chaque séjour à Shanghai, à Pékin ou dans beaucoup d’autres villes chinoises (160 villes de plus de 1 million d’habitants en Chine) sont là pour le rappeler : le monde dans lequel vit un Chinois adulte aujourd’hui n’existait pas lorsqu’il était adolescent !

La visite du musée d’urbanisme de la ville de Shanghai qui présente le plan de développement de la ville pour les prochaines années (en grande partie déjà réalisé) est là pour le rappeler avec ses maquettes vertigineuses.
Et pour finir, une bonne nouvelle : je lis dans le Shanghai Daily que Aston Martin vient enfin d’ouvrir une concession à Shanghai. Ils prévoient de vendre 150 voitures en 2008 (entre 200 et 300 000 Euros). Soit presque autant que Ferrari (160 véhicules, + 33% par an) et bien moins que Porsche (20 concessions en Chine, 4000 véhicules en 2008).

Dans le même registre et dans la China Economic Review, la Chine est devenu le deuxième pays après les Etats-Unis pour le nombre de milliardaires. Le Chinois le plus riche est une chinoise de 26 ans (17,5 milliards USD). Un peu plus et on découvrait que Paris Hilton était la fille cachée de Mao…

Et pour quelques touches fractales, je dois aussi indiquer que dans le même temps, je n’ai jamais vu autant de mendiants en Chine que pendant ce séjour à Shanghai… Ou que mon blog n’est pas accessible depuis une connexion Internet en Chine (c’est sûrement me faire beaucoup d’honneur que de le censurer mais j’imagine qu’il contient quelques mots clés qui l’excluent automatiquement).

La Chine est-elle le paroxysme de notre monde matériel et de la société de consommation ? Ou bien au travers du chocs chaotiques des monde ruraux, industriel (l’usine du monde) et création–communication (MAO, le premier club soucieux de développement durable), l’annonce d’un nouvelle organisation sociale, l’émergence d’une nouvelle conscience ? Il faudra sûrement encore quelques centaines ou milliers de séjours pour y répondre…

En tout cas, la Chine est une preuve de tous les instants de l’incroyable accélération du temps et des évènements que nous vivons. Elle en est même parfois le paroxysme fascinant… ou effrayant.

mercredi 12 décembre 2007

Notes de voyages dans un monde fractal – Episode II

Avec Séoul, l’objectif était ambitieux : approfondir ce que mes derniers séjours m’avaient laissé entr’apercevoir, une frémissante émergence de quelque chose au-delà du Séoul habituel, la ville usine dans un pays usine.

En priorité sur la liste, la visite du Leeum Samsumg Museum. J’ai été enchanté et très inspiré par ce lieu.

3 bâtiments qui communiquent. Le premier dessiné par l’architecte Mario Botta, le second par Jean Nouvel et le dernier par Rem Koolhaas. Le premier musée expose des pièces anciennes de l’art coréen. La mise en scène est tellement géniale qu’ils exposeraient de la vaisselle Ikéa, cela sera sûrement aussi génial. Le parcours (du 4ème étage au rez de chaussée) est un véritable parcours initiatique à l’art coréen et à l’art Bouddhiste.

Le deuxième musée est tout aussi génial. Moi qui ne suis pas un grand fan de Jean Nouvel, j’ai beaucoup admiré le lieu qui est en parfait accord avec les oeuvres qui suivent là encore un parcours initiatique, d’abord avec les artistes contemporains Coréens puis internationaux, pour finir avec ce qui se fait de mieux dans l’avant-garde coréenne et internationale.

Le troisième musée présente une exposition temporaire sur… le vide dans l’art Coréen ! Il s’agit d’un mélange complètement fractal entre les plus vieilles antiquités coréennes et les artistes coréens d’avant-garde, mis en valeur par la mise en scène et le bâtiment de Rem Koolhas.

Le vide, la vacuité, principe essentiel du bouddhisme, inspire complètement l’art coréen depuis toujours. J’ai été pratiquement seul pendant toute la durée de la visite de ces lieux magiques… flottant dans la vacuité exprimée pas les œuvres elles-mêmes et le bâtiments de Rem Koolhaas

La journée s’est terminée par un dîner à l’hôtel W. Un véritable temple du design. La chaine W est déjà un concept intéressant qui trouve là une parfaite réalisation…. Là aussi, vision fractale du monde, vision sur Séoul, restaurant au design international, cuisine fusion : suis-je en Corée, à un point d’émergence d’une culture avant-gardiste coréenne sur la scène internationale ? Ou plus simplement dans un îlot d’avant-garde international noyée dans la ville usine ?

Comme évoqué précédemment (Notes de voyage épisode I), je pense qu’il ne faut pas négliger l’importance des flagship stores des grandes marques. Je crois qu'il s'agit à la fois des cathédrales des temps modernes, du paroxysme de la société de consommation, et parfois d’un début d’émergence de la société création – communication.

J’avais donc décidé de visiter le nouveau magasin Hermès de Séoul, ou plutôt la Maison Hemés Dosan Park.

De toute évidence, la rentabilité du magasin lui-même n'a pas été la priorité dans les décisions (j'étais seul pendant la visite de tous les étages du magasin...) le but est bien de créer un univers, une image cohérente, un musée à la gloire de la marque Le déjeuner, ou plutôt l’expérience culinaire Hermès en est un élément : les assiette Hermès, les couverts Hermès, le service et la nourriture Hermès, la mise en scène… Bien sûr, quand j'ai voulu partir en laissant l’argent sans attendre la monnaie : "I am sorry Sir, no tipping". Où avais-je la tête, on ne laisse pas de pourboire dans les musées…

Mais le grand moment de la visite, c’est le musée Promenade conçu par Hilton McConnico. Une mise en scène incroyable pour un grand moment d’émotion. Une forêt en apesanteur plantée d'arbres à l'écorce couverte par le fameux cuir vibrato d'Hermès. Et, à l'intérieur des troncs, des vitrines-écrins avec des objets, des photos et des vidéos qui déroulent l'histoire de la maison Hermès. Une expérience sensorielle futuriste à la gloire du passé. Le passé dans le présent et le présent dans le passé…


Est-ce de l’art fractal au service du commerce, ou du commerce fractal au service de l’art ?

En résumé :

- une ville usine à la pointe de l’avant-garde artistique

- un musée magasin

- un hôtel musée du design avant-garde

- un magasin musée

Je crois qu’il va falloir continuer à observer les signaux faibles de la mode et du design à Séoul… C’est plus dure que dans la plupart des autres capitales mais sûrement plus émergent aussi.